Consolider 1970-2000

Introduction

Pendant une vingtaine d’années, jusqu’en 1970, la production française du cinéma d’animation est multiple : décentralisée, mais dynamique. Certains réalisateur·rices s’autoproduisent (Jean-François Laguionie crée Les Films de la Demoiselle pour coproduire son premier film), d’autres produisent ponctuellement de l’animation (notamment Roger Leenhardt avec Les Films Roger Leenhardt), le Service de la Recherche est un creuset d'idées... Le cinéma d’animation français opère alors un troisième changement. Il passe d’un cinéma artisanal et poétique 49, composé majoritairement de courts métrages, à une industrie organisée où se développent le long métrage à partir des années 1980, et une diffusion massive à la télévision.

Chapi Chapo de Italo Bettiol et Stefano Lonati

1. Le plan image

En 1983, aux Assises du film d’Animation de Lyon 50, il est fait un premier bilan de l'état du cinéma d’animation en France : manque de studios, absence d’une véritable industrie et retards technologiques font que beaucoup de professionnel·les sont au chômage... Jack Lang, alors ministre de la Culture, faisant le constat que la plupart des films d’animation sont réalisés à l’étranger (sur 400 heures de diffusion à la télévision entre 1981 et 1982, seuls 8% étaient de fabrication française), présente le Plan Image le 16 décembre 1983, c'est-à-dire une proposition de 20 mesures de soutien pour le cinéma d’animation : rapatriement des travaux traités à l’étranger, soutien à la création de studios français de production, réflexion sur le retard technologique, nécessité d’information. Cette tentative d’aide s’appuie sur l’informatisation qui permet la prise en charge de tâches répétitives permettant un développement de l'animation en France et donc une potentielle concurrence avec les empires américains ou japonais. Car dans cette décennie, la peur de tou·tes est l’adaptabilité ou non à l’image de synthèse et la création par ordinateur. De grosses sociétés de production voient le jour, comme Image Ordinateur, France Animation et Belokapi pour la télévision (produisant la série Chapi Chapo), mais ces mesures vont faire réagir certain·es cinéastes s’interrogeant sur la pertinence de ces mesures. René Laloux dira : 

« On favorise des projets à destination télévisuelle, qui ne sont pas contrebalancés par une action en faveur du cinéma. Le dirigisme des fonctionnaires d’État est-il souhaitable pour l’art ? Dans tous les systèmes, ça donne des artistes pompiers et des œuvres peu intéressantes. »

Plusieurs professionnel·les de l’animation s’interrogent sur le bien-fondé d’une telle entreprise de concurrence des studios étrangers incluant le travail à la chaîne, un découpage du public en tranches d’âges, un développement des produits dérivés pour rentabiliser les productions, le tout nuisant à la réflexion des auteur·rices et faisant retomber la production française dans le schéma disneyen, tant détesté par les créateur·rices français. En effet, les réalisateur·rices français·es, pour la plupart, luttent contre l’idée d’un cinéma d’animation réduit d’une part, à la technique du dessin animé, et d’autre part, au traitement du merveilleux et de l’adaptation de conte pour enfants. Le studio Disney véhicule d’un côté un modèle uniforme du cinéma d’animation, mais également « un standard que les productions nationales cherchent à atteindre, sinon à imiter 51». 

Or, le Plan Image devait constituer un marché pour le cinéma d’animation et créer une connexion active entre la production et ses débouchés 52. On reproche la dimension industrielle de ce plan de sauvetage de produits « bas de gamme » à la télévision, sans l’équilibrer par une action en direction des artistes et du cinéma. C’est à ce moment-là que l’on voit apparaître des importations, notamment du Japon et des USA, de séries en animation limitée à 10 dessins (voire moins) par seconde 53.

Yellow Submarine de Georges Dunning

2. La reprise des longs métrages

Certains longs métrages internationaux ouvrent la voie et marquent le public par leur aspect subversif, que ce soit par leur aspect stylistique et surréaliste comme dans Yellow Submarine (1968) de Georges Dunning, fable hallucinée autour des quatre garçons dans le vent, ou Fritz the Cat (1972) de Ralph Bakshi, adapté de la bande dessinée de Crumb, où sexe, humour grivois et violence sont trop présents pour le public américain (c’est le premier dessin animé à être classé X par la Motion Picture of America). Le long métrage d’animation reprend petit à petit sa place dans la consommation cinématographique jusqu’ici complètement marquée par les productions Disney : Les 101 Dalmatiens (1961), Merlin l’Enchanteur (1963), Mary Poppins (1964), Le Livre de la Jungle (1967), Les Aristochats (1970), Robin des bois (1973) et quatre longs métrages juste pour l’année 1977 (Les Aventures de Winnie l’ourson, Les Aventures de Bernard et Bianca, Donald et Dingo au Far West et Peter et Elliott le dragon). 

Les mesures du Plan Image, le succès du premier long métrage de Michel Ocelot, Kirikou (2000), la création en 2003 de l’AGrAF (association des Auteurs Groupés de l’Animation Française), les divers plans de relance pour relocaliser la production sur le territoire français vont avoir un impact fort et direct sur le volume de longs métrages. En effet, 7 longs métrages animés sortent entre 1930 et 1970, 14 longs métrages pour la décennie 1970, 15 pour la décennie 1980, 7 pour les années 1990... C’est une véritable explosion du volume de films pour les années 2000 avec 46 sorties entre 2002 et 2010 54

Jean Image, qui réalise le premier long métrage d’animation français en 1950 avec Jeannot l’Intrépide, sera un des rares de sa génération à en proposer autant dans sa carrière. Le réalisateur touchera tout au long de sa carrière à différents formats : longs métrages, courts métrages, séries pour la télévision... En France, il sera presque la seule figure à faire des films commerciaux, se plaçant dans l’ombre du géant Disney. 

René Laloux révolutionne radicalement le paysage animé grâce au long métrage La Planète sauvage (1973), réalisé à partir d’un scénario de Stefan Wul, en collaboration avec Roland Topor. Sa carrière sera fortement marquée par de nombreuses collaborations : il réalise son premier film expérimental au sein du Service de la Recherche, Les Achalunés (1960), puis anime avec Julien Pappé les dessins des patients de la clinique psychiatrique Laborde de Cour Cheverny dans Les Dents du singe (1960). Son goût pour le partage et les échanges artistiques seront notamment très présents dans sa production de longs métrages. Il s’associe toujours avec un dessinateur reconnu par le public et à l’univers visuel fort : Les Maîtres du temps (1982), réalisé avec Moebius (dessins et scénario) ; Gandahar (1987), à partir des dessins de Philippe Caza. René Laloux est une figure centrale du cinéma d’animation, un pivot fondamental dans l’Histoire de celle-ci, en offrant notamment dans son ouvrage Ces dessins qui bougent une lecture engagée des carrières de ses collègues passés et contemporains. 

Robinson et Compagnie de Jacques Colombat

Gwen, le livre de sable (1985), premier long métrage de Jean-François Laguionie, reçoit directement le prix de la critique lors du festival d’Annecy en 1985. Jacques Colombat reçoit le cristal d’Annecy avec Robinson et Compagnie en 1990. Le Roi et l’Oiseau, fruit d’une bataille juridique de 30 ans entre Grimault et Sarrut, sort en 1980 55

Il faut noter que ces films ont vocation à être vus, ils ont été faits non pas par un seul créateur artisan isolé, mais par des équipes, relativement petites pour certains films, mais dans lesquelles se dégage une véritable notion de studio. La patte artistique des auteur·rices est fortement présente, mais n’empêche ni une vocation commerciale, ni la présence dans un circuit de distribution classique. Dix-sept films (dont deux inachevés) reçoivent une avance sur recette entre 1970 et 2000. 

Le Studio Idéfix est fondé par René Goscinny, Albert Uderzo et Georges Dargaud en 1973, et sera actif de 1974 à 1978. Son existence brève (impactée certainement par la mort de Goscinny en 1977) fait la preuve de sa vocation industrielle et avec l’aide d’animateurs tels Henri Gruel et Pierre Watrin , qui vont produire deux longs métrages, Les 12 Travaux d’Astérix (1976) et La Ballade des Dalton (1978). Créé à partir d’un scénario original, Astérix va avoir un succès national, mais également international ! Il est actuellement le 8e film le plus diffusé à la télévision selon le CNC (25 fois entre 1976 et 2016).

3. Des studios français s'imposent : Folimage / La Fabrique / Prima linea et d'autres !

Depuis l’appel lancé par le Plan Image de relance de la production française, un nouveau type de figure apparaît dans le paysage de la production de l’animation : le studio de production. Car pour produire une animation tant pour la télévision que pour le cinéma, il faut s’appuyer d’une part, sur des structures, des compétences, mais également sur un système économique qui doit dépasser celui de l’artisan chercheur indépendant. On constate alors une mise en place de studios qui, loin de renier la production artisanale d’auteur·rices engagé·es, vont avoir à cœur de faire vivre ces divers auteur·rices et technicien·nes, tout en offrant un système économique pérenne. 

La Fabrique

Pour parler du studio La Fabrique, il faut présenter son fondateur Jean-François Laguionie qui, après une formation à l’école des Arts-Appliqués et un apprentissage dans les décors de théâtre, a intégré le studio des Films Paul Grimault pendant une dizaine d’années. Il remporte en 1965 le Grand Prix d’Annecy avec un film fait en coproduction entre le Service de la Recherche et les Films Paul Grimault, La Demoiselle et le violoncelliste (1965). Ce premier film, en papiers découpés, nous montre une histoire d’amour balnéaire avec des aplats très colorés et un penchant pour la peinture dite « naïve ». Pour réaliser son film, Jean-François Laguionie a basculé son banc-titre à la verticale 56, comme pour une réalisation de film en PVR (prise de vues réelles), et a animé ses figures de papier découpé en les munissant d’aimants. 

Si le réalisateur se définit cette année-là comme « héritier de rien du tout 57 », il nous montre en quelque sorte - déjà - un programme esthétique et graphique propre à sa filmographie, mais plus généralement portant les caractéristiques de l’animation française jusqu’aux années 1980 : une animation graphique, sans gag, un travail artisanal, un auteur isolé, une recherche acharnée. 

Gwen, le livre de sable de Jean-François Laguionie

Il crée donc le studio de production La Fabrique en 1979 : implanté dans les Cévennes, à Saint Laurent Le Minier. Le studio se fonde autour du projet de long métrage Gwen, le livre de sable (1984) avec une équipe restreinte composée d’amis (citons entre autres Nicole Dufour, Bernard Palacios, Henri Heidsiek...). Ce film de science-fiction postapocalyptique nous amène à suivre le destin d’une tribu nomade vivant dans le désert, et terrifiée par le monstre Makou : Gwen, une jeune fille de 13 ans, décide de braver le danger... Le film sort en 1984, bénéficie du soutien financier d’Antenne 2 et est distribué par Gaumont. 

Jean-François Laguionie réalise par la suite, avec ce studio décentralisé de la capitale parisienne, avec des budgets aussi restreints que son équipe, trois autres longs métrages : Le Château des singes (1995), Princes et Princesses (2000) - réalisé par Michel Ocelot - et L’Île de Black Mór (2004). Jean-François Laguionie, qui souligne « la témérité des cinéastes d’animation 58 » dans les années 1970, va créer un modèle unique en son genre, qui dénote dans le paysage français. Un studio est désormais présent pour soutenir des longs métrages d’animation français, ne présentant pas les caractéristiques des longs métrages commerciaux. 

Folimage

Fondé en 1981 à Valence par le réalisateur Jacques-Rémy Girerd, sa vocation rejoint celle du studio La Fabrique : produire des films d’auteur·rice en animation dite « traditionnelle », et défendre un savoir-faire artisanal. C’est en parallèle de cette première initiative que Jacques-Rémy Girerd fonde l’École Européenne du Cinéma d’animation La Poudrière en 1999. 

L'Enfant au grelot de Jacques-Rémy Girerd

Avant l’arrivée en l’an 2000, Folimage a produit 20 courts métrages d’animation, notons surtout les productions de Jean-Loup Felicioli avec Sculptures sculptures (1988), de Michael Dudok de Wit, Le Moine et le Poisson (1994) ou le premier court métrage du duo Catherine Buffat et Jean-Luc Greco, La Bouche cousue (1998) ; sept séries pour la télévision, notamment Les Tragédies minuscules d’Alain Gagnol et J.L. Felicioli où, en dix films de dessins animés, on est témoin des déboires de personnages dans leurs vies quotidiennes ; voire le remarquable L’Enfant au grelot (1998) de J.R. Girerd lui-même, coproduction internationale qui recevra le Cartoon d’Or Européen en 1998, le Meilleur Spécial TV d’Annecy, et qui sera également nommé aux Emmy Awards.

Folimage défend depuis sa création une ligne éditoriale forte et ce, pour toutes sortes de projets. C’est en 2003 que le premier long métrage de l’écurie sort : La Prophétie des Grenouilles par J.R. Girerd. Récompensé par de nombreux prix, le studio n’a cessé alors de s’offrir une place de choix dans l’animation française. En 2012, le long métrage Une Vie de chat de J.L. Felicioli et A. Gagnol sera même nommé aux Oscars !

aaa

aaa Production est un studio d’animation basé à Montreuil et fondé en 1973 par Jacques Rouxel, sa femme Marcelle Ponti-Rouxel et Jean-Paul Couturier. Le studio reçoit le Grand Prix d’Annecy dès 1975 avec Le Pas de Piotr Kamler. Le studio aura d'ailleurs une très belle collaboration avec Piotr Kamler en coproduisant certains films, notamment Une Mission éphémère (1993), film où un personnage d’un autre monde vient, sous nos yeux, animer lui-même de la matière.

Les Shadoks de Jacques Rouxel

Chronopolis, le seul long métrage de Kamler (1982) (coproduction aaa - INA - Les Productions du Cirque) est encore actuellement le seul long métrage d’animation de leur catalogue. C’est une belle coopération entre Kamler et aaa qui s’est construite au fil du temps, le studio s’occupant, entre autres, de la distribution exclusive 59 de ses courts métrages réalisés au sein du Service de la Recherche de l’ORTF, notamment La Planète verteAraignéléphant... Le studio a produit 75 courts métrages qui s’inscrivent dans un catalogue de 140 films courts, si l’on compte les publicités et les films de commande. C’est également grâce à son studio que Rouxel lance la quatrième série des Shadoks et que Michel Ocelot réalise quatre de ses plus beaux courts métrages, entre 1980 et 1983 : Les Trois inventeurs (1980), Les Filles de l’égalité (1981), La Légende du pauvre bossu (1982) et La Princesse insensible (1983).

Prima Linea

Fondé en 1995 par Valérie Schermann et Christophe Jankovic, le studio d’animation était, à ses débuts, une agence d’auteur·rices-illustrateur·rices. Grégoire Soltareff, créateur du personnage de Loulou, présente au studio un court métrage de 26 minutes, créé avec Serge Ellisalde : le projet prenant forme, il sort quelques années plus tard, au sein d’un programme intitulé Loulou et autres loups... (2003). Ce même duo de réalisateurs sort en 2006 U, conte animé de la rencontre d’une licorne et d’une jeune orpheline. Très pictural, les animations dessinées au feutre pinceau, les décors peints à la main sur papier, c’est une recherche commune autour d’un rendu « artisanal » qui unit l’auteur et le réalisateur. U ouvre le festival d’Annecy en juin 2006 et rassemble, quelques mois plus tard à sa sortie, 500 000 spectateur·rices. Le studio Prima Linea est pionnier dans l’accompagnement d’auteur·rices graphiques dans des projets animés : cette caractéristique connait son apogée avec un film sur les peurs, Peur(s) du Noir (2008), mené à plusieurs mains (Blutch, Charles Burns, Marie Caillou, Pierre di Sciullo, Lorenzo Mattotti, Richard McGuire). La direction artistique est par ailleurs menée par Étienne Robial, fondateur de la maison d’édition Futuropolis. Fort d’une qualité graphique unissant plusieurs univers et techniques (animation traditionnelle sur papier pour Blutch et Mattotti ; animation numérique pour Caillou et di Sciullo ; animation traditionnelle, mais en traitement numérique pour McGuire et enfin animation 3D pour Burns), entièrement en noir et blanc, Peur(s) du Noir (2008) ne réunit pas énormément de spectateur·rices lors de sa sortie en salles, mais marque les esprits par cette proposition forte de deux mondes aux frontières poreuses : la bande dessinée et l’animation. 

La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti

Le studio va par la suite produire de nombreux films qui vont recevoir des prix prestigieux ainsi qu’une belle reconnaissance du public (Zarafa (2013), nommé au César, Loulou, l’incroyable secret (2014), César du meilleur film d’animation), et va coproduire La Tortue rouge (2016) de Michael Dudok de Wit, nommé aux Césars et aux Oscars, lauréat du prix « Un Certain Regard » à Cannes. Prima Linea produit, mais surtout impulse la création du long métrage La Fameuse invasion des ours en Sicile (2019), adapté du roman de Dino Buzzatti et réalisé par Lorenzo Mattotti. Le premier long métrage du réalisateur italien offre, dans une animation en 2D, une éclatante composition colorée aux mouvements de caméras qui n’ont absolument rien à envier à la PVR. En 2020, le studio de production Prima Linea ferme ses portes, après une liquidation prononcée le 7 février. Ce n’est pas une disparition du savoir-faire de l’équipe : en effet, depuis 2015, Prima Linéa avait séparé d’une part Prima Linéa Production et son studio d’animation (3.0 Studio), basé à Angoulême. Bien implanté dans la scène française et internationale, il est maître d'oeuvre de l'animation 2D de The French Dispatch de Wes Anderson en 2021 ou encore de l'animation de La Plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius en 2024.

Xilam

Co-fondateur de Gaumont Télévision, Marc du Pontavice fonde en 1999 la société de production Xilam Animation. Avec un catalogue très orienté vers la télévision, la société a rencontré, depuis sa création, de nombreux succès nationaux et internationaux. La signature Xilam est avant tout la série Les Zinzins de l’espace. Après avoir heurtée un astéroïde, la soucoupe volante de quelques extraterrestres est contrainte d’atterrir d’urgence sur Terre, dans une maison inhabitée. Grâce au Super-Méga-TransVolteur, machine de leur création leur permettant de prendre n’importe quelle apparence, le groupe d’aliens va essayer de s’adapter à la vie terrestre. Série comique, loufoque et pop, elle incarne un renouveau français du style UPA (United Productions of America) grâce à ses perspectives écrasées, ses aplats de couleurs et une grande importance aux découpes géométriques. Portée par le générique signé Iggy Pop, la série connaît une production entre 1996 et 2005, et arrive en 2020, dans son intégralité (104 épisodes), sur Netflix. 

Cette série est née d'une forte amitié entre Marc du Pontavice et Jean-Yves Raimbaud, ce dernier, ayant vu la faillite de son studio d’animation nommé Jingle (qui assurait la sous-traitance de dessins animés comme Les Mondes Engloutis), finit par rejoindre son ami au sein de Gaumont Multimedia. Au-delà de l’amitié des deux créateurs, c’est une véritable vision américaine de la mise en scène qui domine leurs goûts, qui semble expliquer leurs deux plus gros succès « historiques », avec un amour marqué pour le slapstick et notamment leur passion partagée pour la série américaine quasiment inconnue en France The Ren and Stimpy Show (1991-1994) de John Kricfalusi. C’est dans ce contexte que sont nés Les Zinzins de l’Espace, et par la suite Oggy et les Cafards (20 ans de production entre 1998 et 2018, soit 350 épisodes), nous racontant l’histoire d’un gros chat bleu, Oggy, constamment embêté par trois cafards : Joey, Deedee et Marky. Cette comédie muette fondée sur le slapstick, au format de 7 minutes, connaît un véritable succès, autant en France qu’à l’international. La série, créée par Jean-Yves Raimbaud et réalisée par Olivier Jean-Marie, dont la première saison a été diffusée en 1998 sur France 3, est devenue culte en France et s’est exportée très rapidement aux États-Unis avec une adaptation selon les prérequis américains.

La série est un succès mondial : elle est distribuée dans 190 pays et par des diffuseurs majeurs tels que Cartoon Network, Disney, Nickelodeon, Netflix et Gulli. Le succès continue avec le reboot Oggy – Next Gen, s’adressant au même public, mais dans un style renouvelé, ainsi qu'un spin-off pour un public préscolaire (2-6 ans) nommé Oggy Oggy (2021), où l’on suit le chat libéré de la tyrannie des cafards. La société Xilam est le seul studio d’animation coté au CAC 40. La franchise Oggy assure des revenus à long terme pour la société de production. 

La société a également remis sur pied l’univers de Lucky Luke au début des années 2000, tout d’abord avec 52 épisodes des Nouvelles aventures de Lucky Luke, série réalisée par Olivier Jean-Marie en 2001, puis Rantanplan en 76 épisodes, entre 2006 et 2007, et Les Dalton, entre 2009 et 2014, en 197 épisodes de 7 minutes. Xilam décline l’œuvre de Morris en différents formats, dont le long métrage Tous à l’Ouest (2007), une nouvelle aventure de l’homme qui tire plus vite que son ombre, mélangeant 3D et animation traditionnelle. L’importance du renouvellement de la technique est par ailleurs présente dès la production du premier long métrage du studio, entièrement réalisé en 3D, Kaena, la Prophétie (2003), réalisé par Chris Delaporte et Pascal Pinon. 

 J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin

Plus récemment, le long métrage d’animation J’ai perdu mon corps (2019) de Jérémy Clapin a été nommé aux Oscars, a reçu le Grand Prix de la semaine de la critique à Cannes, le Prix du Public et le Cristal au Festival d’Annecy en 2019. Xilam acquiert en 2019 le studio français Cube Creative, spécialisé dans la 2D, la 3D et les effets spéciaux numériques, renforçant d’autant plus leur expertise dans ces domaines. Xilam emploie actuellement plus de 500 personnes réparties dans ses studios à Paris, Lyon, Angoulême et Hô-Chi-Minh au Vietnam.

4. La série animée

Si la série animée de qualité est présente relativement tôt au sein de la télévision française grâce aux Shadoks (première saison en 1968 et deuxième saison en 1969) et sa série cousine Zlops (1967), la fiction télévisuelle a, dès le départ, été méprisée par les pionniers de la RTF, le « « télé-feuilleton » fait office de parent pauvre, au mieux diffusé juste avant ou juste après le journal télévisé 60.

Jean Image est un des premiers producteurs à s’y intéresser. Il va ainsi décliner Jeannot l’intrépide en 13 épisodes de 5 minutes, cette série se nommant Joe chez les abeilles (1960). Il animera également à la télévision, en marionnettes, Kiri le clown (1966). La série animée à la télévision semble cumuler plusieurs tares : celle d’être dans un format peu noble, et celle de s’adresser uniquement aux enfants. C’est le cas notamment des séries de marionnettes comme Le Manège enchanté (1963) de Serge Danot, Bonne nuit les petits (les premiers épisodes datent de 1962), et de la série franco-polonaise Colargol (en VO Przygody Misia Colargola) (1969) d’Albert Barillé. La France avait-elle déjà compris l’influence des films de marionnettes déjà très présents au sein de la télévision polonaise 61 ? Le jeune public a toujours été une cible de la télévision, jugé « attentif, réceptif et fragile 62». Un service spécifique est alors créé, en 1954, au sein de l’ORTF. Il faut dire que l’image en mouvement, via le cinéma, puis par la télévision, permettait la diffusion de programmes éducatifs et de prévention. Dès 1956, les enfants auront même un programme en direct (qui portera divers noms, notamment "Le Grand Club") grâce à Jean Nohain et Gabrielle Sainderichin, mélangeant programmes animés, jeux, concerts, etc. 

En France, à la fin des années 1970, arrivent sur les écrans de nouvelles séries nippones en limited animation, notamment Goldorak 63 et Candy (séries diffusées pour la première fois en France en 1978). La France, elle, essaye à son niveau pour répondre au goût ambiant et à la volonté des chaînes, de remplir ses cases jeunesse de ces nouveaux produits qui plaisent au jeune public, bien que n’étant pas dédiés spécifiquement à cette tranche d’âge par leurs concepteurs. Si les animes japonais peuvent se classer en de grandes catégories (les mêmes que pour les mangas) tels que les shônen, shôjo, seinen, etc, incluant donc une notion de genre et d’âge. Par exemple, le shôjo sera plutôt destiné aux jeunes filles et le shônen aux jeunes garçons, alors que le seinen sera destiné plutôt aux jeunes adultes. L’animation ne s’adresse pas qu’aux enfants au Japon et plus globalement en Orient : « ce qui paraît régressif en Occident […] est naturel du fait de l’animisme issu de la tradition shinto, qui fait cohabiter esprits, animaux, humains et objets 64». La série animée en France est donc autant symbole d’une évolution de la consommation télévisuelle, que l’un des axes de développement spécifiés dans le Plan Image. À Montreuil, est créé France Animation, le studio de production lancant la série Les Mondes Engloutis (1985) de Michel Gonthier : ce sont Paul et Gaëtan Brizzi qui conçoivent graphiquement la série qui est diffusée sur Antenne 2 de 1985 à 1987. Le format d’une demi-heure se développe (plus précisément de 26 minutes - aujourd’hui appelé unitaire TV). 

Les Mystérieuse cités d'or de Scott O'Dell

René Borg qui, selon Peter Foldes, avait la capacité de « concentrer Aladin et les 40 voleurs sur un timbre-poste 65» va par ailleurs réaliser 52 épisodes de 13 minutes d’Oum le dauphin dès 1971, puis en 1977 participer à la direction artistique des 26 épisodes d’Il était une fois l’Homme d’Albert Barillé, puis superviser la série Wattoo Wattoo (1978) et Ulysse 31 (1981).

Ulysse 31 arrive sur France 3 en 1981 à 19h55, produit par Jean Chalopin, qui avait fondé à Tours, en 1975, Diffusion Information Commerciale (DIC), un studio publicitaire. La série est conçue en coproduction avec le Japon. C’est de cette même société de production en coopération avec le service public japonais (NHK), que naîtra la série Les Mystérieuses cités d’or (1982). 

Pendant ce temps-là, Michel Ocelot réalise, pour Canal+, 8 épisodes de 12 minutes dans une série appelée Ciné Si, produite par le studio La Fabrique (mentionnée un peu plus haut dans un article). Loin de la limited animation, c’est une animation qui utilise le théâtre d’ombres, avec des fines silhouettes de papier noir dans de beaux décors colorés.

5. Michel Ocelot : une figure pivot

Michel Ocelot, formé à l’École Régionale des Beaux-Arts d’Angers puis à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (à un moment où le département d’animation n’est pas encore créé), rêve d’Amérique et, après l’obtention d’une bourse, part étudier à Los Angeles à la California Institute of the Arts. S’il est intéressant de noter que l’école est fondée par Walt Disney en 1961, Michel Ocelot précise qu’il n’a pas appris grand-chose en animation, mais qu’il a accompli son rêve américain ! De retour en France, il commence sa carrière d’animateur avec une série télévisée, Les Aventures de Gédéon (TF1 - 1976), puis se distingue avec son premier court métrage produit par le studio aaa Les Trois inventeurs (1979). Ce film en technique de papiers découpés, chef-d'œuvre de finesse et de précision, nous raconte, dans un monde de dentelle, l’histoire d’une famille de trois inventeurs, confrontée à l’intolérance de leurs pairs. Il reçoit pour ce film un BAFTA en 1981. 

Michel Ocelot a fait partie du cercle d’auteurs évoluant au sein de structures de productions vertueuses, ayant à cœur de garder une tradition animée, fournissant une structure économique viable à ces derniers. La Fabrique va produire plusieurs courts métrages, mais également la série en dessin animé Ciné Si (Canal+ 1989). 

Michel Ocelot embrasse autant la télévision que le court métrage, et bientôt le long métrage. C’est grâce à l'impulsion du producteur Didier Brunner, fondateur du studio Les Armateurs, que le réalisateur se lance dans l’aventure du long métrage. 

Kirikou et la Sorcière de Michel Ocelot

Lors de son enfance en Guinée, Michel Ocelot découvre un conte très populaire d’Afrique Occidentale, à propos d’un petit enfant si volontaire et extraordinaire qu’il demande encore dans le ventre de sa mère de l’enfanter. Michel Ocelot veut faire un film sur l’Afrique et les Africains, et plonge autant dans ses souvenirs et photographies d’enfance, que dans les encyclopédies pour atteindre une précision de botaniste dans la représentation, notamment celle de la flore. Pour le côté magique du conte, il s’inspire des toiles dites « naïves » du peintre Henri Rousseau dit le Douanier Rousseau, et même s’il abandonne la finesse de ses silhouettes découpées, c’est un univers de détails précieux qui fourmillent dans Kirikou et la Sorcière (1998). 

Michel Ocelot choisit le même jour de sortie que celui du dernier Disney, Mulan (1998), et de la production Dreamworks Le Prince d’Egypte (1998). Le film n’ayant pas eu le budget nécessaire pour la promotion, à part les affiches à l’entrée du cinéma, il compte uniquement sur le « bouche-à-oreille » pour se faire connaître, d’autant plus qu’il sort en France sur seulement 60 copies (600 pour le film Disney). 

Kirikou et la Sorcière (1998) va connaître un grand succès en France, mais surtout à l’étranger. Réunissant l’univers fort et la sensibilité de Michel Ocelot, il a un écho international, et un public prêt à accueillir ce projet ambitieux. Michel Ocelot ne se cache pas d’avoir fait certains compromis esthétiques, loin de l’ascèse du théâtre d’ombre, mais garde cette distance avec l’univers disneyen. 

Kirikou et la Sorcière va être un jalon majeur dans l’Histoire de l’animation et incarner par son succès le renouveau de l’animation française, tant par son graphisme que par ses thèmes. 

Kirikou et la Sorcière au même titre que Les Triplettes de Belleville (2003) réalisé par Sylvain Chomet vont, par leurs succès, incarner la culture française à une échelle internationale 66. Les aides du CNC, mais également des modes alternatifs d’aide à la production, notamment via les diverses résidences d’artistes, vont permettre de valoriser les talents et de pérenniser sur son territoire le noyau créatif français. Dès 2006, il y a 80 sociétés actives de 2 500 personnes employées 67 dans le secteur de l’animation en France.

À suivre...

Notes

49. NOESSER Cécile - La résistible ascension du cinéma d’animation, Socio-génèse d’un cinéma-bis en France (1950-2010). Paris : L’Harmattan, 2016, p. 231. 

50. MAILLET Raymond - Le Dessin animé Français, Institut Lumière [Raymond Maillet ; préf. de Pierre Tchernia], Collection Premier Film, 1983.

51. KAWA-TOPOR Xavier - La Tortue rouge Michael Dudok de Wit, Réseau Canopé, 2018, p.14. 

52. NOESSER Cécile - La résistible ascension du cinéma d’animation, Socio-génèse d’un cinéma-bis en France (1950-2010). Paris : L’Harmattan, 2016, p. 145. 

53. Ibid p. 151. 

54. Ibid p. 268. 

55. Pour les détails de l’affaire Sarrut Grimault aller au chapitre Paul Grimault p. 8.

56. KAWA-TOPOR Xavier et VIMENET Pascal dir. - Jean-François Laguionie. Montreuil : Éditions de l’œil, 2016, p. 123. 

57. ANNECYLHOUETTES - Jean-François Laguionie, Catalogue Annecy, 1965. 

58. ARNAULT Hubert - Jean François Laguionie, Image et Son, n° 120, 1972

59. Archives du studio aaa, Contrat entre aaa et Piotr Kamler.

60. BOUTET Marjolaine - Depuis quand les français sont-ils accros aux séries ?. [En ligne, consulté le 15.05.2017 . Disponible : http://www.inaglobal.fr/television/article/depuis-quand-les-francais-sont-ils-accros-aux-series-tv-7551]. 

61. FUKSIEWICZ Jacek - Le Cinéma en Pologne, Varsovie : Editions Interpress, 1973, p. 76. 

62. LEDOS Jean-Jacques - L’âge d’or de la télévision : 1945-1975, Paris : L’Harmattan, 2007, p.177. 

63. A ce propos lire les actes du colloque Goldorak, L’aventure continue. Presse Universitaire François Rabelais, 2018. 

64. DENIS Sébastien - Le Cinéma d’Animation, Paris : Armand Colin, 2011, p. 217. 

65. BORG - Le Technicien du film et de la vidéo n.331, archive afca, (Fonds Borg)

66. DENIS Sébastien - Le Cinéma d’Animation, Paris : Armand Colin, 2011, p. 224. 

67. NOESSER Cécile - La résistible ascension du cinéma d’animation, Socio-génèse d’un cinéma-bis en France (1950-2010). Paris : L’Harmattan, 2016, p. 268.